Limitation de la taille des envois par RPVA : et si nécessité faisait loi ?

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20/11/2017
Civil - Procédure civile et voies d'exécution

La Cour de cassation valide le principe selon lequel il est possible, en raison de certaines contraintes du RPVA, de procéder, en appel, à la remise des conclusions sur support papier. En plein lancement des chantiers de la Justice sur la transformation numérique et la simplification de la procédure civile, la décision en montrerait-elle l’urgence ?
Dans le cadre d’un litige portant sur des désordres affectant des immeubles construits, les propriétaires assignent le maître d’œuvre et son assureur, ainsi que celui l’artisan ayant réalisé les travaux, ce dernier ayant été placé entre temps en liquidation judiciaire. Par jugement du 18 mars 2014, le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence rejette une partie des demandes. Le 16 mai 2014, les propriétaires interjettent appel ; le maître d’œuvre et son assureur signifient leurs conclusions et forment un appel incident.

Par arrêt avant dire droit du 31 mars 2016, la cour d’appel d’Aix-en-Provence révoque l’ordonnance de clôture, ordonne la réouverture des débats à l’audience du 21 juin 2016 et invite les parties à fournir leurs observations sur l’irrecevabilité susceptible d’affecter les demandes des appelants. Ces derniers établissent leurs conclusions sur support papier, qui sont signifiées par huissier audiencier le 7 avril 2016 et déposées au greffe le 8 avril 2016. Le 29 septembre 2016, la cour d’appel constate la caducité de l’appel et prononce l’irrecevabilité des conclusions des appelants incidents.

Les appelants principaux soutenaient d’abord que l’appréciation de la recevabilité des conclusions relève de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état (CME). Après avoir repris les termes de l’article 930-1 du Code de procédure civile, les magistrats aixois rappellent que si l’article 914 du Code de procédure civile donne compétence exclusive au CME pour déclarer les conclusions irrecevables au regard des dispositions des articles 909 et 910 du même code, le texte ne vise pas celle encourue en raison de l’absence de remise par voie électronique. La cour est donc compétente pour prononcer d’office l’irrecevabilité à ce titre et prononcer sur ses conséquences.

Les appelants faisaient ensuite valoir que l’article 930-1 du Code de procédure civile ne vise que les actes de procédure, ce qui exclurait les conclusions. La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme, à l’inverse, que les conclusions constituent bien des actes de procédure au même titre que les déclarations d’appel et les constitutions d’avocat : si l’arrêté du 30 mars 2011 (Arr. 30 mars 2011, NOR : JUST1108798A, JO 31 mars) visait initialement seulement ces deux derniers types d’actes, il a été étendu aux conclusions des parties par l'arrêté du 18 avril 2012 (Arr. 18 avr. 2012, NOR : JUST1222336A, JO 10 mai). La cour d’appel insiste en indiquant que « l'emploi du verbe "pouvoir" dans l'article 2 de l'arrêté du 30 mars 2011 ne saurait induire une obligation pour les déclarations d'appel et constitutions et une simple faculté pour les seules conclusions ».

Les appelants invoquaient enfin le fait que leurs conclusions étaient d’un poids bien supérieur à celui accepté au maximum par le RPVA (4 Mo vs 8,3 Mo). Celles-ci ne pouvant être fragmentées, cette limite de taille pour les pièces jointes constituerait une cause étrangère justifiant, au sens de l’alinéa 2 de l’article 930-1 du Code de procédure civile, la remise des conclusions sur support papier, sans risquer l’irrecevabilité. La cour d’appel n’est pas sensible à cette argumentation pourtant séduisante et rejette la qualification de cause étrangère, imprévisible et irrésistible, au sens de l'article 930-1 du Code de procédure civile, « dès lors que cet obstacle pouvait être surmonté en scindant l'envoi en plusieurs messages successifs ayant le même objet, modalité compatible avec le respect des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile ». La cour aixoise en déduit qu’il convient de constater que les conclusions sur support papier remises au greffe par les appelants les 07 août 2014, 23 octobre 2014 et 26 janvier 2016 sont irrecevables en application de l'article 930-1, alinéa 1 du Code de procédure civile et d'en conclure notamment qu'à défaut de conclusions valablement déposées et signifiées par voie électronique dans les trois mois de la déclaration d'appel du 16 mai 2014, celle-ci est caduque.

La principale question posée à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, saisie du pourvoi formé à titre principal par les propriétaires et à titre incident par les autres parties au procès, était donc celle de savoir si les contraintes du RPVA s’agissant de la taille des pièces jointes, était ou non susceptible de constituer une cause étrangère justifiant le recours au papier.

Sans ambigüité et au visa de l’article 930-1 du Code de procédure civile, ensemble les articles 748-1 du même code et 5 de l’arrêté du 30 mars 2011 (précité), la Cour de cassation commence par rappeler que « dans la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ; que l’irrecevabilité sanctionnant cette obligation est écartée lorsqu’un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit ; que l’acte est en ce cas remis au greffe sur support papier ». La Cour invalide le raisonnement des juges du fond pour violation de la loi, dès lors « qu’aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés ».

Ce décidant, la Cour de cassation fait preuve d’une heureuse souplesse d’interprétation en ce qui concerne l’une des problématiques d’utilisation du RPVA. Point d’utilité à mettre en œuvre une rigidité processuelle plus rigoureuse que celle déjà instaurée dans le cadre de la réforme de l’appel ; nul besoin de promouvoir des solutions de contournement confinant presque à la débrouillardise (comp. CA Paris, 25 oct. 2017, RG n° 17/02055, « Absence d’accès au RPVA : pas de cause étrangère justifiant l’expédition par voie postale », Actualité du 17/11/2017).

Simple préconisation, juste instruction ou véritable avertissement à l’encontre d’un formalisme excessif peu soucieux des garanties issues du droit à un procès équitable, on observera également que la solution dégagée retient implicitement le seul caractère extérieur de la cause étrangère, mais ni son imprévisibilité (la limite du RPVA pour les pièces jointes est une donnée connue), ni son caractère insurmontable (la cour d’appel avait proposé une solution alternative). Constructive d’un point de vue pratique, elle l’est donc tout autant d’un point de vue théorique, particulièrement en ce qui concerne la notion même de cause étrangère exonératoire du formalisme de l’article 930-1 du Code de procédure civile.
 
Source : Actualités du droit