Sous-traitance et forfait : de la sécurisation du paiement des travaux supplémentaires

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29/01/2021
Civil - Contrat

Par une interprétation souveraine de la volonté des parties, le juge déduit de pièces contractuelles ambiguës que le contrat de sous-traitance litigieux n’est pas soumis au régime du forfait.
La société A., chargée de la construction d’un entrepôt, confie en sous-traitance à la société S. la réalisation de travaux de tuyautage. Les parties avaient convenu « d’un prix de 405 000 euros hors taxes pour prestation globale et forfaitaire ». Sans surprise, des travaux supplémentaires avaient dû être réalisés, entraînant un surcoût. Profitant d’une rédaction ambigüe du contrat, la société A. n’effectue pas le règlement complet des prestations effectuées, invoquant l’application du forfait. Le sous-traitant l’assigne en paiement. Les juges saisis devaient donc répondre à la question de savoir si le contrat était soumis ou non aux règles du marché à forfait. Négatif : la société A. est condamnée à payer à la société S. le solde du marché.
 
La cour d’appel confirme que les parties n’ont pas volontairement soumis le contrat aux règles du marché à forfait.
 
La société A. intente un pourvoi, invoquant la violation de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, les parties au contrat de sous-traitance pouvant décider de soumettre volontairement la convention au principe du forfait, aucun paiement supplémentaire ne pouvant intervenir en l’absence d’accord du donneur d’ordre. Les travaux litigieux avaient fait l’objet d’une commande et d’un règlement séparés, ce dont il se déduisait qu’étant extérieurs au périmètre du marché à forfait initial, ils ne pouvaient en modifier la nature juridique.
 
La Cour de cassation rejette ce pourvoi. La cour d’appel a exactement énoncé que les dispositions de l'article 1793 du Code civil ne sont pas applicables à un contrat de sous-traitance conclu entre deux entreprises. Elle a relevé les faits suivants :
  • si la commande avait été acceptée pour un prix ferme, net et non révisable de 405 000 euros, des travaux supplémentaires avaient été réalisés par la société S. sans commande écrite préalable de son cocontractant qui les avaient acceptés et payés ;
  • des bons de commande de régularisation étaient intervenus postérieurement à l’exécution de certains travaux ;
  • et l’entreprise principale avait admis, dans un courrier, que des réclamations de son sous-traitant au titre de surcoûts de location de matériels et de main d’œuvre étaient partiellement justifiées par les factures produites,
Acceptation tacite de certaines modifications des travaux et paiement partiel du donneur d’ordres… Elle en a « exactement déduit, par une interprétation souveraine de la commune intention des parties, rendue nécessaire par l’ambiguïté des pièces contractuelles relatives à un même marché, que celles-ci n’avaient pas entendu soumettre le contrat au régime du forfait ». En conséquence, elle a alloué à la société S., au titre des surcoûts dont celle-ci justifiait, une somme dont elle a souverainement apprécié le montant. En l’espèce, il s’agissait d’une somme d’environ 200 000 euros majorée des intérêts de retard.
 
Remarque. – Dans le cadre du marché à forfait, le juge accepte le paiement de travaux supplémentaires « lorsqu’un bouleversement de l'économie du marché initial » est démontré par l’entreprise (refus à propos d’un devis sous-évalué (Cass. 3e civ., 19 janv. 2017, n° 15-20.846, Bull. civ. III, n° 7).

Pour les marchés conclus à compter du 1er octobre 2016, un entrepreneur peut, en cas de changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution du contrat excessivement onéreuse et à condition qu’il n'ait pas accepté d'en assumer le risque, demander la renégociation du contrat avec le maître d’ouvrage. En cas de refus ou d’échec de cette renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou solliciter du juge une adaptation, une révision du prix ou encore y mettre fin (C. civ., art. 1195).
 
Pour aller plus loin, v. le Lamy Droit du contrat, nos 1022 et 1916 et La Lamy droit immobilier, n° 2990.
Source : Actualités du droit