Un rapport sénatorial fustige le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu

Image  Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat
03/11/2016
Civil - Fiscalité des particuliers

Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu sera-t-il effectif au 1er janvier 2018 ? Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, n’y croit pas et ne s’en est pas caché à l’occasion de la présentation des conclusions de ses travaux sur le sujet le 3 novembre 2016.
Pour l’heure, l’article 38 du projet de loi de finances pour 2017 prévoit la mise en place d’un prélèvement à la source, sous la forme de deux dispositifs :
– une retenue à la source, collectée par les tiers payeurs (i.e. les employeurs essentiellement) pour les traitements, salaires et pensions ;
– des acomptes, prélevés par l’administration fiscale, pour les revenus des travailleurs indépendants, les revenus fonciers, les rentes viagères et certains revenus de source étrangère (Projet de loi AN n° 4061, 2016-2017).

Loin de moderniser et simplifier le recouvrement de l’impôt, cette réforme comporterait pour Albéric de Montgolfier (sénateur LR d’Eure-et-Loir), plusieurs risques, pour les entreprises comme pour les contribuables ; une opinion que ne partage pas Michèle André (sénatrice PS du Puy-de-Dôme), présidente de la commission des finances du Sénat.
En outre, il juge le système actuel très performant avec un taux de recouvrement de plus de 98 % : « pourquoi est-on en train de changer un système qui fonctionne ? » s’interroge-t-il. Car les pays qui ont déjà adopté le prélèvement à la source (comme l’Allemagne en 1924), ont pour la plupart fait cette démarche il y a maintenant des années, avec pour seul objectif, non de simplifier la vie des contribuables, mais bien pour garantir le recouvrement de l’impôt à des périodes où leur État avait besoin de fonds (crise économique, guerre).

Quelles difficultés ?

Après de nombreuses auditions, des échanges avec Bercy et près de 4 000 contributions, Albéric de Montgolfier a pu recenser plusieurs difficultés soulevées par le projet de texte.

La première, l’introduction de l’employeur au centre de la relation entre le contribuable et l’administration fiscale qui aura plusieurs conséquences : de nouvelles charges pour les entreprises, qui devront adopter pour le prélèvement à la source la déclaration sociale nominative (DSN), pivot de cette réforme, dont la généralisation n’est pas encore aboutie ; ce qui pénalisera encore une fois les plus petites d’entre elles. Autre risque, et pas des moindres, une atteinte potentielle à la confidentialité des données fiscales des contribuables, en raison de la transmission de ces données. Enfin, une dégradation éventuelle des relations en entreprise, notamment dans le cadre des négociations salariales individuelles : grâce au taux de prélèvement appliqué l’employeur pourra connaître la situation patrimoniale, avec le risque d’influencer ses décisions en termes de rémunération.

Un autre argument avancé par le gouvernement en faveur de la mise en place de cette réforme est la prise en compte immédiate des variations de revenus et des changements de situation personnelle. Or le taux de prélèvement sera fixé les neuf premiers mois sur les revenus de l’année N-2, et seulement à compter de septembre sur ceux de l’année N-1. Par ailleurs les réductions comme les crédits d’impôt ne seront pas pris en compte dans le calcul du taux : leur bénéfice ne sera pris en compte qu’un an après. Ce problème n’est pas négligeable car il concerne 9,6 millions de foyers fiscaux. Enfin le système de modulation du taux de prélèvement se révèlerait plutôt rigide, ne tenant pas compte, entre autres, des naissances. Pour Albéric de Montgolfier, le projet est surtout « fait pour préserver les finances de l’État ».

Par ailleurs, des zones d’ombre entourent l’année de transition entre les deux systèmes. Certes il est prévu de créer un crédit d’impôt ad hoc pour effacer l’impôt dû au titre des seuls revenus « non exceptionnels » perçus en 2017. Il s’agit ainsi d’éviter une double imposition, tout en évitant de favoriser des comportements d’optimisation fiscale. Cependant, la définition des revenus « non exceptionnels » est floue et donc source d’insécurité juridique pour les contribuables. Prévoyant, le gouvernement a introduit dans le projet de loi une extension du droit de reprise de l’administration fiscale jusqu’à quatre ans, au lieu de trois.

Dernière difficulté, cette fois d’ordre technique. L’ensemble des administrations publiques devra appliquer le prélèvement à la source. Or elles sont hors champ de la DSN jusqu’en 2020, ce qui implique la création d’un « succédané de DSN ». Et à supposer que la Direction générale des finances publiques (DGFiP) arrive à mettre en place cette DSN allégée, en attendant un outil informatique performant, Bruno Parent, directeur de la DGFiP, n’est pas optimiste, à en croire Albéric de Montgolfier, sur la date du 1er janvier 2018. Selon ce dernier, « les difficultés techniques ont été sous-estimées depuis le début ».

L’alternative : un prélèvement mensualisé et contemporain

Sachant que la France dispose déjà d’outils performants et fiables pour la collecte de l’impôt sur le revenu (télédéclaration, télépaiement, modulation des prélèvements mensuels, etc.), l’instauration d’un tel prélèvement permettrait d’allier simplicité et contemporanéité.

Le rapport propose de le mettre en place sous forme d’acomptes sur douze mois, versés au titre des revenus de l’année N au lieu de l’année N-1, avec l’avantage de préserver la confidentialité des données fiscales des contribuables puisqu’il conserverait le lien direct entre ces derniers et l’administration fiscale, mais également de gommer le décalage d’une année entre perception et imposition. Il éviterait également tous les autres reproches qui s’élèvent contre le prélèvement à la source avec notamment une prise en compte des réductions et crédits d’impôts dits « historiques », une modulation du montant des mensualités dès le mois suivant en cas de variations de revenus.

Le prélèvement à la source est fait pour un système fiscal individualisé et non pas le système fiscal familiarisé qui existe en France, assure Albéric de Montgolfier. Le prélèvement à la source verra-t-il le jour en 2018 ? Les paris sont ouverts…
 
Source : Actualités du droit