
Le contrat de bail repose sur un équilibre entre les droits et obligations du bailleur et du locataire. Parmi les principales obligations qui pèsent sur le bailleur figure celle de délivrer les locaux loués et d’en garantir la jouissance paisible. Cette obligation, souvent rappelée par la jurisprudence, n’est pas limitée au seul moment de la remise des clés. Elle s’impose pendant toute la durée du bail, comme l’a encore confirmé récemment la Cour de cassation (Cass. 3e civ., 10 juillet 2025, n° 23-20.491, Sté Eco Bois c/ Sté du Bois d'Audrey et Delphine).
Obligation de délivrance et jouissance paisible
L’article 1719 du Code civil prévoit que le bailleur est tenu de deux engagements essentiels :
- mettre à disposition du preneur le bien loué ;
- garantir au locataire une jouissance paisible du bien pendant toute la durée du bail.
Si le texte mentionne principalement la jouissance paisible comme obligation continue, la jurisprudence a élargi cette exigence. La Cour de cassation considère désormais que l’obligation de délivrance elle-même s’impose tout au long du bail. Le bailleur ne peut donc pas se contenter d’avoir délivré le bien au début du contrat : il doit en garantir l’usage convenu jusqu’à son terme.
Une affaire récente et son enseignement
Dans l’arrêt du 10 juillet 2025, un bailleur avait amputé d’un tiers l’assiette du bail en construisant un hangar et un parking, loués à un tiers. Cette situation avait aussi limité l’accès aux locaux du locataire. Le preneur a saisi la justice pour demander la résiliation du bail.
La cour d’appel avait rejeté cette action en considérant que le délai de prescription courait dès la découverte de la réduction de la surface et des difficultés d’accès. La Cour de cassation a censuré cette position. Elle a jugé que tant que le manquement du bailleur persiste, l’action du locataire reste ouverte. Le délai de prescription de cinq ans ne commence donc pas à courir tant que l’atteinte à l’obligation de délivrance perdure.
Une confirmation jurisprudentielle constante
Cette décision s’inscrit dans une continuité : Cass. 3e civ., 10 septembre 2020, n° 18-21.890 et Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 17-26.348 avaient déjà souligné que la délivrance du bien loué est une obligation qui se prolonge pendant toute l’exécution du bail. La cour d’appel de Rouen a précisé que l’action du locataire fondée sur ce manquement est soumise à la prescription de droit commun de cinq ans, mais que le délai ne court pas tant que la violation perdure (CA Rouen, 1er juin 2022, n° 20/03324).
Vigilance des parties
Pour les bailleurs, cette jurisprudence impose une vigilance accrue : il faut s’abstenir de toute action réduisant l’assiette du bail ou limitant l’accès aux locaux, sous peine d’exposer le contrat à une demande de résiliation. Pour les locataires, cette solution renforce la sécurité juridique : ils ne sont pas contraints d’agir immédiatement et disposent d’un recours tant que le manquement du bailleur se poursuit.
En définitive, cet ensemble de décisions confirme que l’essence du bail, définie à l’article 1709 du Code civil, est de permettre au locataire de jouir du bien convenu pendant toute la durée du contrat, en contrepartie du paiement du loyer. Le bailleur doit garantir cette jouissance sans interruption, faute de quoi le contrat peut être remis en cause.