Arnaud Touati, avocat associé, Alto avocats  : « Tous les contrats ne peuvent pas être des smart contracts »

Image  Arnaud Touati, avocat associé, Alto avocats
17/03/2017
Civil - Contrat

La Blockchain va-t-elle révolutionner également la pratique contractuelle ? Certainement, mais pas dans l’immédiat. À l’heure actuelle, de trop nombreuses questions se posent, notamment sur l’intégration de ces contrats intelligents dans l’ordre juridique et judiciaire. Doit-on leur appliquer les règles du droit du contrat, du droit de la consommation et de la procédure civile ? L’essor de cette technologie, non encore mature, conduira-t-il à la nécessité de coder certains pans du droit positif ? Les explications d’Arnaud Touati.
Revue Lamy Droit civil : Parmi les nombreuses utilisations de la Blockchain, figurent les smart contracts. Pourriez-vous définir ce concept ?
Arnaud TOUATI : Un smart contract est un code informatique qui déclenche automatiquement des actions liées à la survenance de certaines conditions prédéfinies.
Le terme "contrat intelligent" fait référence à la capacité du contrat à s'exécuter automatiquement sans l’intervention d’un tiers.
Le programme peut définir des règles et des conséquences précises. L’avantage par rapport à un contrat classique, c’est qu’il peut également prendre en considération des données externes au contrat, les traiter selon les règles énoncées dans le contrat et prendre des mesures préprogrammées en conséquence.
 
RLDC : Les smart contract ne sont-ils que des logiciels, qui auto-exécuteraient certaines seulement des obligations contractuelles ?
A. T. : Un smart contract n’est pas véritablement un contrat, mais plutôt un logiciel qui constitue l’émanation numérique d’un contrat inscrit sur la Blockchain. En effet, il n’a pas en lui-même d’autorité juridique. Il est une application technique et automatique d’un contrat au sens juridique du terme.
En ce sens, il entraîne certaines obligations pour les parties, indépendamment du mécanisme d’automatisation d’une action.
Dans ce contexte, les parties peuvent contrôler leurs engagements.
En effet, lorsqu’un engagement est exécuté par une partie, celui-ci est automatiquement répertorié dans la chaîne de blocs.
Ainsi, lorsque tous les engagements préalables à l’exécution d’une obligation ont été respectés, ladite obligation s’auto-exécute, sans qu’aucune des parties ne puisse s’y opposer.
Nous pouvons prendre exemple sur un smart contract de location saisonnière portant sur un appartement dont la serrure serait une clef électronique et qui permettrait automatiquement au propriétaire de verrouiller à distance son logement lorsque son loueur n’exécute pas ses engagements, à l’image d’un non-règlement ou d’un règlement partiel d’un loyer.
C’est dans cet esprit que Slock.it, une start-up allemande, a levé plusieurs millions de dollars relativement à la création de smart contracts dans le domaine de la location d’appartements entre particuliers de type AirBnB.
En revanche, tous les contrats ne peuvent pas être des smart contracts, à l’instar des contrats de location sur la résidence principale par exemple. En effet, en France par exemple, le droit protège particulièrement le locataire qui ne peut faire l’objet d’une expulsion, à la suite d’un retard de loyer, que dans des conditions très rigoureuses (recours préalable du propriétaire, puis demande de résiliation du bail et intervention d’un huissier de justice).
Il n’est donc pas possible pour un propriétaire d’installer une clef électronique et de bloquer à distance la porte en verrouillant ladite clef en cas de non-paiement d’un loyer.
 
RLDC : En quoi permettent-ils une meilleure sécurité juridique ?
A. T. : De manière générale, les smart contracts reposent sur la technologie Blockchain qui est, par essence, une technologie qui assure une meilleure sécurité juridique.
En effet, la Blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations qui est transparente, sécurisée et qui fonctionne sans organe central de contrôle ni aucun intermédiaire.
Elle constitue en ce sens une base de données censée être inaltérable car elle contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Une sorte de grand livre informatique ouvert à tous. Chaque transaction est cryptée et constitue un bloc qui est validé par le réseau de façon automatisée.
Dans la mesure où il n’y a plus besoin de tiers de confiance et que tout est automatisé, les smart contracts permettent en effet théoriquement une meilleure sécurité juridique. Toutefois, aucun système n’est parfaitement inviolable.
De plus, il existe trois types de Blockchain : publique (ouverte à tous et gratuite, c’est celle qu’utilise le bitcoin), privée (limitée à certains acteurs privés, surtout utilisée en matière bancaire) et hybride publique/privée.
Naturellement, plus la  Blockchain est ouverte, moins elle est sécurisée.
 
RLDC : Dans quels domaines ces smart contracts ont-ils ou pourraient-ils d’abord percer ?
A. T. : Dans les domaines des transports, des infrastructures, dans le domaine bancaire, etc. Il y a déjà des initiatives en ce sens dans certains pays, notamment aux États-Unis.
En matière de protection des données par exemple. Il est possible de citer Stratumn, une start-up qui a conçu un support sur lequel des entreprises peuvent installer des couches logicielles et des applis dans des domaines touchant à la micro-assurance, la protection des données, etc. Stratumn propose ainsi de sauvegarder des preuves des documents au lieu d’envoyer une enveloppe Soleau à l’INPI. La preuve de l’antériorité d’un document ou d’une œuvre peut donc être rapportée !
En finance, Belem est une autre start-up qui développe un système qui permet aux banques de piloter leur gestion des risques. Elle peut servir de place de marché pour effectuer des transactions sans passer par un courtier tout en garantissant le même niveau de sécurité et de confidentialité.
Enfin, en matière d’assurance, Ethereum, une autre start-up qui a levé 18,9 millions de dollars a permis à plusieurs sociétés d’assurances d’automatiser le versement de dédommagements en cas de sinistres par le biais de smart contracts lorsque les conditions d’indemnisations étaient réunies.
 
Propos recueillis par Gaëlle Marraud des Grottes


L'intégralité de cet entretien paraîtra dans la Revue Lamy Droit civil d'avril 2017 (RLDC 2017/147)
 
Source : Actualités du droit