« Demain l’agriculture » et « Demain la ville » : propositions des première et troisième commissions du 114e Congrès des notaires

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17/05/2018
Civil - Immobilier
Public - Urbanisme

Pour la première fois dans l’histoire du Congrès des notaires de France, les propositions formulées par les quatre commissions ont été dévoilées à l’ensemble des notaires en amont de la tenue du Congrès. Retour sur les propositions des commissions « Demain l’Agriculture » et « Demain la Ville ».
Le 114e Congrès des notaires de France se déroulera à Cannes du 27 au 30 mai 2018. Il aura cette année pour thème « Demain le territoire ». Ce thème « est avant tout une invitation à penser la France de demain » et à relever les défis auxquels elle est notamment confrontée : l’accompagnement des mutations du monde agricole, l’accélération de la transition énergétique et la réduction des fractures territoriales, sociales et culturelles…
Au cours des quatre commissions « Demain l’agriculture », « Demain l’énergie », « Demain la ville » et « Demain le financement », 20 propositions d’amélioration du droit et de la pratique professionnelle seront présentées, débattues et soumises au vote des notaires.
Ces propositions ont été dévoilées ce mercredi au Conseil supérieur du Notariat et ce, pour la première fois en amont du Congrès. Les débats en plénières devraient ainsi être « dynamisés ».
Présentation des propositions formulées par la première commission « Demain l’agriculture » et la troisième commission « Demain la ville ».
 
Première Commission « Demain l’agriculture »

Le territoire agricole est abordé par la première commission sous deux angles : son appropriation (qui sera propriétaire des terres ?) et son exploitation (comment sera exploitée la terre ?).
Ainsi que le souligne Emmanuel Clerget, Président du 114e Congrès des notaires, il s’agit de rénover les outils existants (SAFER, contrôle des structures…) qui ne correspondent plus aux attentes des agriculteurs et des consommateurs.
 
Proposition n° 1 : Évolution de la définition de l’activité agricole
Les enjeux agricoles ont évolué ; l’activité agricole est notamment devenue multifonctionnelle. L’agriculteur peut aujourd’hui être également producteur d’énergies renouvelables ou être amené à travailler sur d’autres exploitations… Afin de prendre en compte ces nouvelles réalités, la première commission propose d’élargir la définition de l’activité agricole et de modifier l’article L. 311-1 du Code rural et de la pêche maritime.
Seraient ainsi intégrés à la définition la production d’énergie renouvelable, les prestations pour services environnementaux et toute activité connexe ayant pour support l’exploitation non incluse dans la définition actuelle et également le recours à la sous-traitance.
Une réflexion est également menée sur le rôle du registre des actifs agricoles.
 
Proposition n° 2 : Création d’un groupement foncier agricole dédié à la protection du territoire rural
Les groupements fonciers agricoles (GFA) sont des sociétés civiles dédiées au portage du foncier. Ces groupements, essentiellement familiaux, sont formés entre personnes physiques et, de manière dérogatoire, peuvent comprendre des personnes morales (C. rur. et pêche maritime, art. L. 322-1 et L. 322-2).
Dans un esprit d’ouverture et afin de donner un nouveau souffle à cette structure, la première commission propose d’élargir l’objet social des GFA afin, notamment, de leur permettre de détenir des biens autres que ceux destinés purement à la production agricole.
Elle souhaite également ouvrir leur capital aux personnes morales et favoriser ainsi l’injection de nouveaux capitaux.
Ces évolutions seraient soumises au respect de trois conditions cumulatives : l’obligation de conclure un bail rural de 30 ans ; l’obligation d’insérer des clauses environnementales afin notamment de préserver la qualité des terres et la production ; l’impossibilité pour le bailleur de se prévaloir de la faculté de résiliation pour cause d’urbanisme.

Proposition n° 3 : Élargissement des bénéficiaires de la subrogation dans l’exercice du droit de préemption du fermier
Le preneur bénéficiant du droit de préemption peut subroger ses proches (conjoint, partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, certains descendants…) dans l’exercice de ce droit (C. rur. et pêche maritime, art. L. 412-5).
La première commission propose d’élargir cette subrogation à toute personne physique ou morale (par exemple un GFA dont le preneur est membre). Cet élargissement favoriserait le portage foncier en agriculture. Le preneur pourrait choisir le bailleur ; la pérennité de l’exploitation serait également assurée.
Cette proposition serait conditionnée à la préservation à long terme (bail rural à long terme d’une durée minimale de 18 ans) de l’usage agricole des terres et de l’environnement.

Proposition n° 4 : Libéralisation encadrée de la cessibilité des baux soumis au statut du fermage
Avec cette quatrième proposition, la première commission « s’attaque à un pilier du droit rural » (Me Antoine Bouquemont, Rapporteur général du 114e Congrès des notaires). Elle souhaite en effet revenir sur le principe de l’incessibilité des baux ruraux datant des années soixante. Cette cessibilité de tous les baux soumis au statut du fermage est « une nécessité pour le développement de véritables entreprises agricoles » (Prop. n° 4). Pour Me Clerget, la cessibilité facilitera la cession, la transmission du fonds.
Conscients des « bouleversements » que cette proposition entraînerait dans le monde agricole, les membres de la commission souhaitent encadrer cette cessibilité et la soumettre au respect de plusieurs conditions.
Pour éviter la spéculation, les montants des pas de porte et des loyers seraient encadrés. Les droits du bailleur seraient également respectés : son agrément (à défaut celui des tribunaux des baux ruraux) et son droit de reprise en fin de bail contre indemnités seraient impératifs.
 
Proposition n° 5 : Transformation des modes de régulation de l’appropriation et de l’usage des terres agricoles
Cette cinquième proposition va « créer des débats » (Me Antoine Bouquemont).
La première commission propose de remplacer et fusionner la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) et le contrôle des structures et créer un organisme unique doté de pouvoirs de contrôle, notamment en amont.
Il serait chargée de délivrer les autorisations pour les projet d’entreprise qui lui seraient soumis, en se basant sur les critères existants (viabilité économique, surface…) mais aussi de nouveaux critères (lutte contre l’artificialisation des sols, prise en compte de la multifonctionnalité…). Ces critères élargis ne toucheraient pas uniquement l’exploitation, et concerneraient « celui qui va exploiter, celui qui va acquérir ».
 
Troisième commission « Demain la ville »

Les travaux de la troisième commission partent d’un constat : en 2050, près de 80% de la population vivra en ville. Ils dressent ensuite le portrait de la ville du futur. L’analyse porte sur deux types de villes : les villes compactes et les villes étendues. Les défis sont multiples en termes de logement, d’infrastructures, de protection de l’environnement, de mixité sociale, de multifonctionnalité des espaces, de verticalité et de densification, de lutte contre l’étalement urbain, de revitalisation des centres-villes et des zones rurales notamment.
 
Proposition n° 1 : Dérogation au statut du fermage pour l’agriculture urbaine
Le développement de l’agriculture urbaine auquel nous assistons aujourd’hui constitue un enjeu important pour la ville de demain et suscite également de nombreuses questions juridiques, et parmi elles celle de l’application impérative du statut du fermage (notamment en copropriété). Celui-ci peut en effet être un frein à l’essor de l’agriculture intra-muros.
La troisième commission propose ainsi de permettre au preneur et au bailleur de déroger au statut du fermage pour les immeubles situés en zones urbaines. « Un plaidoyer pour l’autonomie contractuelle sera présentée à Cannes » (Rapport du 114e Congrès des Notaires, p. IXV ; v. également sur le droit réel de jouissance spéciale et sur un « bail pour les paysans sans terre », Rapport du 114e Congrès des Notaires, n° 3496 et n° 3497, p. 628).
 
Proposition n° 2 : Libération du foncier dans les lotissements
La deuxième proposition porte sur la question de la caducité du cahier des charges des lotissements.
Pour la troisième commission « la maladresse de rédaction » de l’article L. 442-9 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi « ALUR » (L. n° 2014-366, 24 mars 2014, JO 26 mars) « mettant en contradiction ses alinéas 1, 3 voire 5, de même que l’objectif de la loi et le droit au respect des contrats défendu par la Cour de cassation rend la situation ingérable ». Elle souhaite une réécriture de cet article (v. Rapport 114e Congrès des Notaires, nos 3524 et s.).
 
Proposition n° 3 : Création d’une servitude légale pour l’isolation par l’extérieur
La rénovation énergétique des bâtiments est l’une des clés de la lutte contre le réchauffement climatique. Aujourd’hui, 30 % de la consommation d’énergie finale et 16 % des émissions de gaz à effet de serre sont imputables à l’habitat, pour lequel 81 % de DPE sont en classe D ou au-delà (v. Rapport du 114e Congrès des notaires, n° 3395, p. 600). Pour lutter contre ces « passoires thermiques », la rénovation par l’extérieure est jugée la plus efficace. Toutefois, celle-ci peut s’avérer difficile lorsque le bâtiment est édifié en limite de propriété, et plus particulièrement lorsque cette isolation provoque un empiètement sur un fonds privé.
L’accord du propriétaire est indispensable pour la réalisation du projet. La troisième commission relève qu’il est courant de conclure soit l’achat de l’assiette cadastrale ou volumétrique concernée par l’isolation, soit une servitude conventionnelle. Cette isolation restera cependant suspendue au consentement du voisin ; il est ainsi envisagé de créer une servitude légale.
 
Proposition n° 4 : Amélioration de la prévention des recours contre les autorisations d’urbanisme
Cette proposition intervient dans le cadre de l’élaboration de la loi ÉLAN (Évolution du Logement et Aménagement Numérique) et de la lutte contre les recours abusifs. Un article du projet de loi prévoit de raccourcir le délai de jugement à dix mois. La pérennisation de l’absence d’appel pour les programmes collectifs dans les zones tendues et des sanctions plus sévères contre les requérants abusifs sont également prévus.
Pour la troisième commission deux questions restent toutefois en suspens.
La première concerne l’aide juridictionnelle qui voit son délai de recours interrompu, sans même que l’auteur de la décision ou le titulaire de l’autorisation n’en ait connaissance. Il est ainsi proposé de réécrire l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme afin que la demande d’aide juridictionnelle soit obligatoirement portée à leur connaissance.
La seconde concerne l’hypothèse d’un désaccord entre l’assureur et l’assuré quant à la prise en charge de la procédure et la suspension du recours. La commission souhaite également, afin de garantir la sécurité juridique, que soit mise en place une information sur ces recours.
 
Proposition n° 5 : Reconnaissance d’un urbanisme tri-dimensionnel
La dernière proposition de la troisième commission est selon Me Bouquemont « prospective mais réaliste ». Elle relève que la 3 dimension (3 D) est déjà présente dans l’immobilier au stade de la conception des projets (avec les Building information modeling − BIM), de la commercialisation (visites virtuelles) et de la construction (premières imprimantes). Les premières reconnaissances juridiques existent également au travers de la loi « ALUR » sur les volumes ou du permis de construire numérique. Les densification, mixité et partage dont les villes de demain auront besoin nécessitent la prise en compte de cette 3e dimension au niveau cadastral et urbanistique.
Par exemple, un plan local d’urbanisme pourra prévoir des zonages ou des servitudes d’utilité publique comme des alignements, non plus seulement au plan planimétrique mais également altimétrique.
 
Pour plus de détails sur les propositions de la deuxième commission « Demain, l'énergie », voir aussi notre actualité : 114e Congrès des notaires de France : lutte contre les changements climatiques et protection de la biodiversité s’invitent aux débats.
Pour plus de détails sur les propositions de la commission « Demain le financement » voir aussi notre actualité : « Demain, le financement » : les propositions fiscales du 114e Congrès des notaires de France.
Source : Actualités du droit